Langage et pouvoir symbolique

par 295mem
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« Langage et pouvoir symbolique » de Pierre Bourdieu.
Bourdieu ; grand sociologue mondialement reconnu, il fut aussi un penseur engagé dont les prises de position ont suscité des polémiques. Il démonte les mécanismes par lesquels les clivages sociaux se reproduisent. C’est sans doute pour cette raison qu’on le qualifie de « sociologue énervant ».

Pour Bourdieu, sociologie et politique ne sont pas dissociables.
Lors des grèves de décembre 1995, il participe à un appel des intellectuels en soutien aux grévistes et crée les Éditions Liber-Raisons d’agir qui deviendront association loi 1901 en 1998 et qui publient de petits livres dénonçant le néolibéralisme. Il soutient le mouvement des chômeurs de janvier 1998. Bourdieu est un sociologue engagé qui s’oppose au néolibéralisme. Il publie Sur la télévision en 1997, Contre-feux et La domination masculine en 1998, Les structures sociales de l’économie en 2000, Contre-feux 2 en 2001.

Cet ouvrage est une contribution majeure à la compréhension du système politique actuel et demande une connaissance des concepts de la sociologie de Bourdieu.
Le contenu de cet ouvrage comprend les écrits les plus importants de Pierre Bourdieu sur le langage ainsi que sur le pouvoir symbolique dans le champ politique. Ce livre est une édition revue et augmentée des textes publiés en 1982 sous le titre « Ce que parler veut dire. »

Lexique Bourdieusien

Bourdieu propose une interprétation du phénomène linguistique à l’aide des concepts d’ habitus et de champ.

L’habitus désigne un ensemble de dispositions qui portent les agents à agir et à réagir d’une certaine manière. L’habitus désigne des manières d’être, de penser et de faire communes à plusieurs personnes de même origine sociale, issue de l’incorporation non consciente des normes et pratiques véhiculées par le groupe d’appartenance. En somme, dispositions générales (façons de faire, de réagir, manières d’être) résultant de l’intériorisation et de l’accumulation par chacun de nous, au fil de notre histoire, des apprentissages passés, d’un savoir-faire inculqué par la famille, l’école ou l’environnement social lors du processus de socialisation .

Les dispositions qui constituent les habitus sont inculquées, structurés, durables mais aussi génératives et transposables.
Les dispositions sont, en effet, acquises grâce à un processus d’inculcation au sein duquel les expériences de la prime enfance occupent une place déterminante.

On voit donc une multitude de processus d’apprentissage ; comme celui de se tenir bien à table.

L’individu acquière alors une série de dispositions qui semble façonner littéralement les corps et deviennent comme une seconde nature. Ces dispositions sont donc structurées puisqu’elles reflètent les conditions sociales au sein desquels elles ont été acquises (milieu populaire ou bourgeois). Elles sont durables car elles sont enracinées dans les corps de telle sorte qu’elles perdurent tout au long de la vie, opérant d’une manière presque inconsciente et donc difficilement accessible à une réflexion et à une transformation consciente.

Enfin, pour Bourdieu ces dispositions sont aussi génératives et transposables puisqu’elles peuvent engendrer une multitude de pratiques et de perceptions dans d’autres champs que ceux où elles ont d’abord été acquises.
Une des dimensions essentielles de l’habitus est le rapport au corps ou l’hexis corporelle. Ainsi l’habitus d’un paysan ou d’un ouvrier implique un rapport au corps tout différent de celui d’un officier de carrière ou d’un cadre supérieur du commerce ou de la banque.
Il est important de signaler que la sociologie de Bourdieu n’est pas une pure et simple théorie du conditionnement social. Les déterminismes sociaux ne constituent pas une sorte de programmation mécanique de notre comportement. L’habitus est aussi principe d’invention. Là où il y a lutte, il y a ouverture et histoire. En témoigne d’ailleurs l’action militante des dernières années de la vie de Bourdieu.

Pour lui, les pratiques et les perceptions particulières devraient être conçues, non comme le produit des habitus eux-mêmes mais comme le produit de la relation entre habitus d’une part et les contextes sociaux spécifiques ou les champs au sein desquels les individus agissent de l’autre.
Le champ est une sphère de la vie sociale qui est devenue progressivement autonome à travers l’histoire.
La notion de champs peut être renvoyée à celle d’institutions mais à condition de considérer les institutions non comme des choses mais comme des configurations de relations entre agents individuels ou collectifs.
Le monde social se révèle pluridimensionnel, c’est-à-dire composé d’une pluralité de champs sociaux autonomes (champ économique, mais aussi champ culturel, champ politique, etc.).

Chaque champ est régi par des relations de domination spécifiques, avec des enjeux propres et des monopolisations de capitaux particuliers (capital économique, capital culturel, capital politique, etc.) ; la domination masculine étant transversale aux différents champs.
Chaque champ se caractérise par un rapport de forces entre dominants et dominés où les agents sociaux s’affrontent pour conserver ou transformer ces rapports de forces. On peut être dominant dans un type de rapports (en tant qu’homme ou titulaire d’un fort capital culturel) et dominé dans un autre (en tant que détenteur d’un faible capital économique ou politique).

Bourdieu différentie plusieurs espèces de capital ou ressource :

  • Le capital économique (richesse matérielle)
  • Le capital culturel (désigne l’ensemble des connaissances, dispositions, compétences souvent concrétisé sous forme de titres ou de diplômes qui, appropriés par une personne, lui permettent d’occuper un rang social déterminé)
  • Le capital social (désigne un réseau de relations sociales)
  • Le capital symbolique (renvoie à l’accumulation des prestiges et des honneurs)
    « La position d’un agent déterminé dans l’espace social peut ainsi être définie par la position qu’il occupe dans les différents champ, c’est-à-dire dans la distribution des pouvoirs qui sont agissants dans chacun d’eux, soit principalement le capital économique, le capital culturel et le capital social, ainsi que le capital symbolique, communément appelé prestige, réputation, renommée, etc., qui est la forme perçue et reconnue comme légitime de ces différentes espèces de capital. »

Quand Bourdieu emploi le terme de « classes », il fait référence à un ensemble d’agents qui occupent des positions similaires dans l’espace social, possédant donc des formes et des quantités similaires de capital, de semblables chances de réussite, les mêmes dispositions…
Bourdieu emprunte nombres de termes au langage de l’économie comme on l’a vu celui de « marché », de « capital » ou encore celui de « profit ». Bourdieu n’entend pas réduire tous les champs sociaux à celui de l’économie au sens étroit du terme (transactions purement économiques à savoir la vente et l’achat de marchandises) mais bien au contraire à envisager l’économie au sens étroit du terme comme un champs parmi une pluralité d’autres champs comme le champs de la littérature de la politique, de l’art ou de la religion . Ces autres champs, sans être motivés par la seule poursuite du gain financier peuvent toutefois obéir à une logique économique en ce sens plus large qu’ils sont orientés vers l’augmentation d’un certain type de capital ou la maximisation d’un certain type de profit comme l’honneur ou le prestige.

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Echanges linguistiques et pouvoir symbolique

Bourdieu critique la linguistique de Chomsky puis de Saussure. Pour lui, le problème de ces conceptions est  qu’elles permettent au langage d’être constitué comme un objet autonome et homogène, susceptible de se plier à une analyse purement linguistique.
Pour lui, en prenant pour modèle normatif  de l’usage correct un ensemble particulier de pratiques linguistiques, le linguiste produit l’illusion d’un langage commun en négligeant les conditions socio-historiques qui ont institué un ensemble particulier de pratiques linguistiques comme dominant et légitime.
En fait, la langue officielle reflète l’unification de l’État. Pierre Bourdieu reprend les travaux d’historiens sur le développement des langues comme celui de Fernand Brunot, auteur de l’ « histoire de la lange française des origines à nos jours ».
Il nous montre ainsi comment le dialecte parisien s’est implanté progressivement en France. Bourdieu tente d’expliquer que les membres des classes supérieures avaient tout à gagner de la politique d’unification linguistique qui a accompagné la révolution française, offrant à celles-ci un monopole du pouvoir politique.
Cependant la langue officielle et sa légitimation en tant que telle dépendaient d’autres facteurs comme le développement du système d’enseignement et la formation d’un marché du travail unifié. En d’autres termes grâce à la mise sur  pied d’un système éducatif standardisé et indépendant des variations régionales, et avec l’unification du marché du travail où les positions administratives dépendaient du niveau d’instruction, l’école apparaît comme le principal moyen d’accès au marché du travail. De ce fait par les différentes institutions et processus sociaux, les populations parlant des dialectes locaux étaient-elles amenées selon les termes de Bourdieu « à collaborer à la destruction de leurs instruments d’expression ».

La violence symbolique correspond à l’imposition de la culture de la classe dominante à travers les agents socialisateurs et en particulier l’école.

Ainsi le système scolaire n’est nullement un appareil neutre au service de la culture et de la République. Les enseignants contribuent (inconsciemment) à transmettre les normes et valeurs de la classe dominante. L’école reproduit la structure sociale, processus qui marche d’autant mieux qu’il est masqué.

Les échanges linguistiques sont susceptibles d’exprimer de multiples manières les relations de pouvoir. « Les discours ne sont pas seulement des signes destinés à être compris, déchiffrés, ce sont aussi des signes de richesse destinés à être évalués, appréciés et des signes d’autorité destinés à être crus et obéis. »
La valeur du discours va donc dépendre du rapport de force. « La forme et le contenu du discours dépendent de la relation entre un habitus et un marché défini par un niveau de tension plus ou moins élevé, donc par le degré de rigueur des sanctions qu’il inflige à ceux qui manquent à la « correction » et à la « mise en forme » que suppose l’usage officiel » de la langue.
Ainsi, il décrit les échanges linguistiques quotidiens comme autant de rencontres localisées entre des agents porteurs de ressources et de compétences socialement structurées. Par là toute interaction linguistique pour l’auteur, porte-t-elle les traces de la structure sociale qu’elle exprime et qu’elle contribue à reproduire.

L’auteur nous dit que à mesure que l’on s’élève dans la hiérarchie sociale, le degré de censure, et corrélativement, de mise en forme et d’euphémisation ne cesse de croître. Ces modes d’expression interviennent dans des marchés  (comme le marché scolaire ou le mondain) exigeant cette forme de neutralisation et de mise à distance de la réalité qu’est ce que Bourdieu appelle « la stylisation de la vie ». Celle-ci est « cette mise en forme des pratiques qui privilégie en toutes choses la manière, le style, la forme au détriment de la fonction. »

L’auteur précise qu’ « il convient aussi à tous les marchés officiels, et aux rituels sociaux où la nécessité de mettre en forme (…) s’impose avec une rigueur absolue, au détriment de la fonction communicative qui peut s’annuler pourvu que fonctionne la logique performative de la domination symbolique. »

L’auteur analyse que dans le cas des classes populaires, ce « style articulatoire » participe d’un rapport au corps dominé par le refus des manières ou des chichis (c’est-à-dire de la stylisation ou de la mise en forme) et par la valorisation de la virilité et de tout ce qui est de l’ordre de la nature.

Ainsi, on a d’un coté le langage domestiqué, censure devenue nature, qui proscrit les propos gras, les plaisanteries lourdes et les accents grasseyants, va de pair avec la domestication du corps qui exclut toute manifestation excessive (cris, larmes, grands gestes…) et de l’autre le langage dit populaire qui s’oppose au premier dans sa forme.

Bourdieu explique que l’affirmation d’une contre légitimité linguistique et, du même coup, la production de discours fondés sur l’ignorance plus ou moins délibérée des conventions et des convenances caractéristiques des marchés dominants ne sont possibles que dans des espaces propres aux classes dominés.

L’argot qui est une transgression réelle des principes fondamentaux de la légitimité culturelle, constitue une affirmation d’une identité sociale et culturelle et se manifeste en générale dans les échanges linguistiques publics et Interne à la classe.
Pour ce qui est des échanges privés entre dominés et dominants, Bourdieu nous dit qu’ils peuvent prendre la forme de « la parole embarrassée ou détraquée par l’effet d’intimidation ou du silence, la seule forme d’expression qui soit laissée, bien souvent, aux dominés ».
Bourdieu explique que « l’image du domestique, qui doit une conformité affichée aux normes dominantes de la bienséance verbale et de la tenue vestimentaire, hante toutes les relations entre dominés et dominants ». 

« L’institution sociale du pouvoir symbolique »

Pour l’auteur, le rapport de forces linguistique n’est jamais défini par la seule relation entre les compétences linguistiques en présences. En effet, « le poids des différents agents dépend de leur capital symbolique, c’est-à-dire de la reconnaissance, institutionnalisée ou non qu’ils reçoivent d’un groupe ». Il y a donc d’un coté la maîtrise pratique d’un usage de la langue et de l’autre la maîtrise pratique des situations dans lesquelles cet usage de la langue est socialement acceptable.
Bourdieu prend le cas des énoncés performatifs et nous dit que « cette prétention à agir sur le monde social par les mots, c’est-à-dire magiquement est plus ou moins folle ou raisonnable selon qu’elle est plus ou moins fondée dans l’objectivité du monde social ».

Bourdieu ajoute qu’il n’y a pas de pouvoir symbolique sans symbolique du pouvoir que sont les divers attributs symboliques (hermine et toge pour le juge et le médecin).

Il nous dit que « l’insulte comme la nomination appartient à la classe des actes d’institution et de destitution plus ou moins fondée socialement, par lesquels un individu, agissant en son propre nom ou au nom d’un groupe plus ou moins important numériquement et socialement, signifie à quelqu’un qu’il a telle propriété, lui signifiant du même coup d’avoir à se comporter en conformité avec l’essence sociale qui lui est assignée. »

L’auteur nous dit que, pour qu’un énoncé performatif réussisse, il faut une adéquation entre la fonction sociale du locuteur et le discourt qu’il prononce.

Le pouvoir des mots réside dans le fait qu’ils ne sont pas prononcés à titre personnel par celui qui n’en est que le porteur et que sa parole concentre le capital symbolique accumulé par le groupe qui l’a mandaté et dont il est le fondé de pouvoir. Les actes d’autorité ou ce qui reviens au même « les actes autorisés » sont considérés par l’auteur comme « des opérations de magie sociale ».

En effet, pour Bourdieu, le représentant fait le groupe qui le fait ; le porte parole doté du plein pouvoir de parler et d’agir au nom du groupe, de se prendre pour le groupe qu’il incarne, de s’identifier à la fonction à laquelle il se donne corps et âmes, donnant ainsi un corps biologique à un corps institué ; idée que l’auteur résume dans la phrase « l’état, c’est moi » ou ce qui revient au même, le monde est ma représentation.

La reconnaissance du discours d’autorité se fait sous certaines conditions qui définissent l’usage légitime :

  • Il doit être prononcé par la personne légitimée à la prononcer (prêtres, professeurs, poètes…)
  • Il doit être prononcé dans une situation légitime ; c’est-à-dire devant les récepteurs légitimes
  • Il doit être prononcé dans les formes (syntaxiques, phonétiques…) légitimes.

Les différentes formes de domination doivent être reconnues comme légitimes pour durer. Elles doivent devenir comme « naturelles » de sorte que les dominés eux-mêmes adhèrent à l’ordre dominant tout en en méconnaissant le caractère arbitraire (sans cette méconnaissance, ils n’y adhèreraient pas). C’est ce processus qui constitue le principe de la violence symbolique.

L’auteur va par la suite tenter de dégager les propriétés invariantes des rituels sociaux entendus comme « rites d’institution ».

Il met en parallèle le rite kabyle de la circoncision qui tend à consacrer la différence en instituant les hommes en tant qu’homme et les femmes en tant que femmes ; avec l’investiture (du chevalier, du député, du président) qui consiste à sanctionner en faisant reconnaître une différence sociale.
Bourdieu insiste sur le fait que la science sociale doit prendre en compte le fait de l’efficacité symbolique des rites d’institution ; c’est-à-dire le pouvoir qui leur appartient d’agir sur le réel en agissant sur la représentation du réel.
Bourdieu montre que l’institution d’une identité peut être un titre de noblesse mais aussi un stigmate. Pour lui, la formule qui sous-tend la magie performative de tous les actes d’institution est ; « deviens ce que tu es ».

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« Vision et division du monde social »

Pour lui, l’action proprement politique est possible parce que les agents, qui font partie du monde social, ont une connaissance de ce monde et que l’on peut agir sur le monde social en agissant sur la connaissance de ce monde.
« On voit combien la réalité sociale d’une pratique comme l’alcoolisme (mais la même chose vaudrait de l’avortement, de la consommation de drogue ou de l’euthanasie) se trouve changée selon qu’elle est perçue et pensée comme une tard héréditaire, une déchéance morale, une tradition culturelle ou une conduite de compensation ».

La « pré-vision » politique est par soi une « pré-diction » qui vise à faire advenir ce qu’elle énonce ; elle contribue à la réalité de ce qu’elle annonce par le fait même de l’énoncer. Toute théorie est un programme de perception, mais nous dit Bourdieu « cela n’est jamais aussi vrai que pour les théories du monde social. »

L’auteur nous dit plus loin qu’en politique « dire c’est faire », c’est plus exactement se donner les moyens de faire en faisant croire que l’on peut faire ce que l’on dit.
La vérité de la promesse ou du pronostic dépend de la véracité mais aussi de l’autorité de celui qui les prononce ; c’est-à-dire de sa capacité de faire croire en sa véracité et en son autorité.
Le pouvoir symbolique envisagé comme pouvoir de constituer le donné par l’énonciation, de faire voir et de faire croire, de confirmer ou de transformer la vision du monde, et par là, l’action sur le monde donc le monde, ce pouvoir est qualifié de quasi magique par Bourdieu qui permet, selon lui, d’obtenir l’équivalent de ce qui est obtenue par la force (physique ou économique) grâce à l’effet spécifique de mobilisation, qui ne s’exerce que s’il est reconnu, c’est-à-dire méconnu comme arbitraire.
« Le champs politique est le lieu, inaccessible aux profanes, ou se fabriquent, dans la concurrence entre les professionnels qui s’y sont engagés, des formes de perceptions des d’expression politiquement agissantes et légitimes, qui sont offertes aux citoyens ordinaires, réduits à l’état de « consommateurs » ».

Bourdieu explique que le pouvoir symbolique est un pouvoir invisible qui ne peut s’exercer qu’avec la complicité de ceux qui ne veulent pas savoir qu’ils le subissent ou même qu’ils l’exercent.
Pour citer un exemple ; « le système de classement universitaire qui mobilise sous une forme méconnaissable les divisions objectives de la structure sociale et spécialement de la division du travail convertit des propriétés sociales en propriétés de nature ».
Bourdieu explique que « l’ordre social doit pour une part sa permanence au fait qu’il impose des schèmes de classement qui, étant ajustés aux classements objectifs, produisent une forme de reconnaissance de cet ordre, celle qu’implique la méconnaissance de l’arbitraire de ses fondements. »
Bourdieu introduit alors la notion de doxa originaire qui peut être envisagée comme le contrat tacite d’adhésion à l’ordre établi. Il ajoute plus loin qu’elle est orientée vers la naturalisation de l’ordre social et qu’elle emprunte toujours le langage de la nature.
Pour l’auteur, la production des idées sur le monde social se trouve toujours subordonnée à la logique de la conquête du pouvoir, qui est celle de la mobilisation du plus grand nombre.

Ainsi, « Le champ politique est un des lieux privilégiés de l’exercice du pouvoir de représentation ou de manifestation qui contribue à faire exister pleinement, c’est-à-dire à l’état objectivé, directement visible de tous (public officiel donc autorisé) ce qui existait à l’état, pratique, tacite ou implicite. »
Bourdieu ajoute que ce pouvoir de manifestation peut s’exercer à propos de tout de qui touche au monde social, à la vision de ce monde et donc à la division de celui-ci ; il prend pour exemple le féminisme qui va imposer de nouveaux principes de classement et de regroupements des choses perçues et, par là, de nouveaux groupes.

Champ politique et pouvoir symbolique

Bourdieu en vient à analyser les compétences des politiques. Il part du fait que rien n’est moins naturel que le mode de pensée et d’action qui est exigé par la participation au champ politique.

Pour citer l’auteur ; « l’habitus du politicien suppose un entraînement spécial ».
L’auteur révèle que ce qui est le plus important mise à part la maîtrise du langage et des savoirs spécifiques, c’est l’initiation avec ses épreuves et ses rites de passage qui tendent à inculquer, selon l’auteur, « la maîtrise pratique de la logique immanente du champs politique et à imposer une soumission de fait aux valeurs, aux hiérarchie et aux censures inhérentes à ce champs. »

Bourdieu prend l’exemple du débat télévisé qui va confronter des professionnels choisis à la fois pour leurs compétences spécifiques mais aussi pour leur sens de la bienséance et de la respectabilité politique. Le public qui est réduit au Statut de spectateur assiste au débat réalisant la lutte des classes sous la forme d’un affrontement théâtralisé et ritualisé entre deux champions.

Pour l’auteur, ceci symbolise parfaitement l’aboutissement d’un processus d’autonomisation du jeu proprement politique, plus que jamais enfermé dans ses techniques, ses hiérarchies et ses règles internes.
Il introduit donc la notion de jeu et nous dit que toux ceux qui ont le privilège d’investir dans le jeu (associé au plaisir du jeu mais aussi à tous les avantages matériels et symboliques eux même associés à la possession d’un pouvoir symbolique) acceptent le contrat tacite lié au fait de participer au jeu et de le reconnaître donc comme valant la peine d’être joué.

Bourdieu ajoute que cela unit tous les participant par une sorte de « collusion originaire » où tous les initiés ont la même adhésion fondamentale au jeu et aux enjeux.
Bourdieu précise qu’ils ne se manifestent jamais aussi clairement que lorsque le jeu vient à être menacé en tant que tel.

Pour donner un exemple illustrant ses propos Bourdieu vient à poser l’impact de la candidature de Coluche à la présidence de la république qui a était d’emblée condamnée par la quasi-totalité des professionnels de la politique. Il nous dit que les professionnel, hommes politiques et journalistes tentent de refuser « au casseur de jeu » le droit d’entrée que les profanes lui accordent massivement. Bourdieu explique que c’est sans doute du au fait, « qu’en entrant dans le jeu sans le prendre au sérieux, ce joueur extra-ordinaire menace le fondement même du jeu, c’est-à-dire la croyance et la crédibilité des joueurs ordinaires. »

Bourdieu écrit plus loin que la prudence extrême qui définit le politicien accompli et qui se mesure en particulier au haut degré d’euphémisation de son discours (la langue de bois) s’explique sans doute par la vulnérabilité extrême du capital politique (forme de capital symbolique) qui fait du métier d’homme politique une profession à haut risque puisqu’elle dépend de la représentation collective.

C’est la raison pour laquelle l’homme politique est spécialement vulnérable aux soupons, aux calomnies, au scandale bref à tout ce qui menace la confiance.

Il est primordial pour les hommes politiques de produire la représentation de leur sincérité et de leur désintéressement puisque ces dispositions  apparaissent comme la garantie ultime de la représentation du monde social qu’ils s’efforcent d’imposer, des idéaux et des idées qu’ils ont mission de faire reconnaître.
C’est ce qui explique pour Bourdieu que l’homme politique a partie liée avec le journaliste, détenteur d’un pouvoir sur les instruments de grande diffusion qui lui donne un pouvoir sur toute espèce de capital symbolique.

L’acte de délégation et le fétichisme politique

L’auteur analyse ensuite l’acte de délégation par lequel une personne donne pouvoir  à une autre. Il qualifie cet acte de magique et précise qu’il permet de faire exister ce qui n’était qu’une collection de personnes plurielles, sous la forme d’une personne fictive, « un corps mystique incarné dans un corps social. »

Pour pouvoir s’identifier au groupe et dire « je suis le groupe », « je suis donc le groupe est », le mandataire nous dit Bourdieu doit en quelque sorte s’annuler dans le groupe, faire don de sa personne au groupe, clamer et proclamer : « je n’existe que par le groupe .» Il dira plus tard que « c’est lorsque je deviens Rien et parce que je suis capable de devenir rien, de m’annuler, de m’oublier, de me sacrifier, de me dévouer que je deviens Tout. »

Et donc nous dit Bourdieu l’usurpation du mandataire suppose la modestie et donc la dissimulation de l’usurpation (en s’affirmant comme simple ministre par exemple). En effet, pour lui, le détournement au profit de la personne des propriétés de la position n’est possible que pour autant qu’il se dissimule.

Il y voit la définition même du pouvoir symbolique qui suppose la reconnaissance c’est-à-dire la méconnaissance de la violence qui s’exerce à travers lui. Par là, la violence symbolique du ministre ne peut s’exercer qu’avec la complicité que lui accorde ceux sur qui cette violence s’exerce  « par l’effet de la méconnaissance qu’encourage la dénégation ».

Bourdieu s’appui sur les travaux de Nietzsche dans « l’antéchrist » qui d’après lui est moins une critique du christianisme qu’une critique du mandataire.
Il nous dit que les délégués ramènent à eux des valeurs universelles, ils s’approprient les valeurs ils accaparent donc les notions de dieu, de vérité, de sagesse, de peuple, de message, de liberté etc. « je suis la vérité », selon la formule de Nietzsche. Ils se font sacré, se consacre et du même coup, ils tracent les limites entre eux et les simples profanes ; ils deviennent ainsi pour reprendre Nietzsche « la mesure de toute chose ».

C’est ce que Bourdieu, cette fois, appelle « l’effet d’oracle » qui est pour lui un véritable détournement de la personnalité en ce sens que la personne individuelle, le moi, s’annule au profit d’une personne morale transcendante (« je fais don de ma personne à la France ») l’individu ordinaire doit donc mourir pour qu’advienne la personne morale ; c’est ce que font les rites d’institution.

Bourdieu nous dit que toute une série d’effets symboliques qui s’exercent tous les jours dans la politique repose sur cette sorte de « ventriloquie usurpatrice ». Celle-ci consiste à faire parler ceux au nom de qui on parle, à faire parler ceux au nom de qui on a le droit de parler, à faire parler le peuple, au nom de qui on est autorisé à parler.

Il prend un exemple et nous dit que lorsqu’un homme politique dit « le peuple, les masses populaires ect il fait effet d’oracle, c’est-à-dire le coup qui consiste à faire croire que « je est un autre », que le porte parole, simple substitut symbolique du peuple est vraiment le peuple au sens où tout ce qu’il dit est la vérité et la vie du peuple.
Au risque d’être incompris, l’auteur précise que « l’imposture légitime ne réussit que parce que l’usurpateur n’est pas un calculateur cynique qui trompe sciemment le peuple, mais quelqu’un qui se prend en toute bonne foi pour autre chose que ce qu’il n’est. »

La professionnalisation de l’activité politique et l’autonomisation du champ politique induisent une conséquence paradoxale qui est, pour Bourdieu : la dépossession politique. Les individus privés de capital culturel et économique vont déléguer. Cette délégation va conduire au fétichisme politique.

Les fétiches politiques sont des gens, des êtres qui ne semblent devoir qu’à eux-mêmes une existence que les agents sociaux leur ont donnée.
Bourdieu s’appui sur Marx pour définir le fétichisme comme ce qui advient lorsque « des produits de la tête de l’homme apparaissent comme doués d’une vie propre ».

En d’autres termes, Bourdieu nous dit que le fétichisme politique réside précisément dans le fait que la valeur du personnage apparaît comme charisme, mystérieuse propriété objective de la personne, charme insaisissable, mystère innommable.

Analyse d’une théorie sociale

Dans cette partie, Bourdieu va analyser la théorie des climats de Montesquieu. Il s’interroge sur la logique du mode d’argumentation qu’il emploi pour produire un effet de vérité. Pour lui, la théorie des climats est un remarquable paradigme de « la mythologie » scientifique ; les discours sont fondés dans la croyance ou le préjugé et louche vers la science.

Pour l’auteur, on est donc en présence de deux principes entremêlés de cohérence ; une proclamée, d’allure scientifique, qui s’affirme par la multiplication des signes extérieurs de la scientificité, et une cohérence cachée, mythique dans son principe.
Montesquieu fait de nombreux empreint à la science médicale du 18 ème comme la théorie des humeurs ou encore celle des fibres élaborée par John Arburthnot :

  • air froid : resserre les extrémités des fibres extérieures du corps. Il diminue leur longueur, il augmente donc leur force et leur ressort et favorise le retour du sang des extrémités vers le cœur.
  • air chaud : relâche les extrémités des fibres. Il les allonge, il diminue donc leur force et leur ressort.

Bourdieu nous dit qu’ une psychanalyse de l’esprit scientifique ne manquerait pas de relever les images primitives et les oppositions proprement mythiques qui se glissent, à la faveur de la polysémie des mots (équilibre, puissance, ressort…), dans la description anatomique et physiologique
Tableau des oppositions mythiques ; véritable structure fantasmatique qui soutiennent toute la théorie.

Aussi, la relation mythique entre la passivité et la féminité ou entre l’activité et la virilité ne s’exprime-t-elle  jamais comme tel mais s’établit sous le masque d’une loi démographique attribuant un excédent de garçons aux peuples « guerriers » du nord et un excédent de filles aux peuples « efféminés » du « midi ».

Bourdieu nous dit que pour produire les principes fondamentaux de la théorie des climats, Montesquieu n’a fait que puiser en lui-même, c’est-à-dire dans un inconscient social qu’il avait en commun avec tous les hommes cultivés de son temps.
Pour l’auteur, le discours savant fonctionne comme un réseau d’euphémismes qui permettent à la pulsion sociale de s’exprimer sous une forme socialement acceptable ou même approuvée et prestigieuse.
Ainsi à partir d’une rhétorique scientifique, Montesquieu en vient à dire : « nous avons déjà dit que la grande chaleur énervait la force et le courage des hommes ; et qu’il y avait dans les climats froids une certaine force de corps et d’esprit qui rendait les hommes capables des actions longues, pénibles, grandes et hardies (…). Il ne faut donc pas être étonner que la lâcheté des peuples des climats chauds les ait presque toujours rendus esclaves et que le courage des peuples des climats froids les ait maintenus libres ».
Bourdieu nous dit que la tradition lettrée fait partie des conditions sociales du mythe savant, de sa forme, c’est-à-dire du langage d’allure scientifique et donc prestigieux.

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